1 déc. 2009

Insomniac Olympics


Les miroirs me font peur, c’est un fait. Je n’aime pas ce que je vois. L’ensemble. L’extérieur & l’intérieur. Un amas d’os & de chair, de vide & de bordel. Un cimetière où, fut un temps, habitait ce qu’on appelle par chez nous la vie. Ce truc qui nous remplit, l’extérieur comme l’intérieur.
Il m’a effeuillée, comme on enlève un à un les pétales d’une fleur. Délicatement, sans trop de conviction, mais avec une douceur sans pareille. Il ne me voulait pas de mal, je peux vous l’assurer. Je les reconnais, ceux qui me veulent du mal. Je les reconnais parce que dans leurs yeux, il y a quelque chose qui dérange. Un espoir sale, une attente salace. J’attends que tu tombes, j’attends ce moment où tes jambes vont flancher & où ton cœur sera sec. Totalement sec. Voilà ce qu’on voit dans les yeux de ceux qui veulent tout remuer en vous.
Nue. J’étais nue. Dans le plus simple appareil, en tenue d’Eve, que sais-je. Tant d’autres comparaisons. Toujours est-il que j’étais plantée là, debout, avec mes os & ma chair, mon vide & mon bordel. J’étais là & je n’ai rien fait. J’ai attendu de voir, parce que je ne prends jamais d’initiative dans ces moments là. Il était face à moi, & aussi étrange que cela puisse paraitre, il s’est passé un long moment, un long silence, avant qu’il décide quelque chose. Lui-même ne connaissait pas la suite du programme.
Tout était long. Le vent dehors, la fumée qui s’échappe de la tasse de café, le chat qui miaule, le silence, le froid dans la chambre, le froid en moi. Tout était long, beaucoup trop long. Sa voix rauque & enrouée brise tout. Le vent dehors, la fumée qui s’échappe de la tasse de café, le chat qui miaule, le silence, le froid dans la chambre, le froid en moi. Tout est brisé. Tourne-toi, il me dit. Je reste statique, je n’aime pas qu’on me donne des ordres. Il serre les mâchoires, ça se voit sur ses tempes, près de ses oreilles. Son visage devient plus carré, plus dur. Plus violent. Il me répète, avec plus de conviction, de détermination. Tourne-toi. Non, je ne me retournerais pas. Mais ça, je ne l’ai pas dit, parce qu’à ce moment là, j’ai peur. Parce qu’à ce moment là, je ne sais pas parler. Alors il s’en charge. Lui, avec ses mains douces & dures, froides & apaisantes qu’il pose sur mes épaules, sans prendre trop de gants, sans penser que ses mains sont froides, que je les sentirais & que je lui dirais, éventuellement , tu as les mains froides. Je crois qu’il s’en fichait, qu’il voulait quelque chose de précis. D’un geste sec il me retourne, je vacille, perd pied mais retrouve l’équilibre parce que, malgré tout, il me retient. Non, il ne veut pas me voir tomber. Mais ça, je ne l’avais pas encore compris.
Là, juste devant moi, un miroir. Un long miroir, comme ceux que je n’aime pas. Ceux où on se voit, de la tête aux pieds, des pieds à la tête. Où tout notre corps, en long en large en travers, est visible. Qu’est ce que tu vois ? Cette question, ce tout petit assemblage de mots avec un point d’interrogation à la fin, cette toute petite phrase, m’a transpercée. Des pieds à la tête, de la tête aux pieds, des poumons jusqu’au cœur. Moi-même je ne m’étais jamais posé la question. Qu’elle est compliquée, cette question ! Est-ce que je dois prendre en compte le décor ? Je dois te dire que je te vois, toi derrière moi, le fauve au dessus de sa proie, près à bondir au moindre écart, au moindre mot qui dérape & que tu ne veux pas entendre ? Je suis censée deviner ce que tu attends de moi ? J’ai choisi la voix du silence. Celle qui transperce & qui blesse. Je n’ai pas ouvert la bouche. Je t’ai regardé, parce que je voulais que tu m’aides. Mais tu ne m’as pas aidée, tu m’as laissée. Je crois qu’à ce moment précis, je t’en ai voulu, de me laisser tomber. Mais, encore une fois, à ce moment précis, je ne savais pas que tu voulais que je me relève, que je te prouve que je suis plus forte que ça.
J’ai eu peur, parce que tu m’as brusquée. Tu t’es énervé, tu m’as répété cette question, tu m’as tuée jusqu’à ce que je réponde quelque chose, n’importe quoi. Alors, je t’ai dis que je ne voyais rien, qu’il n’y avait rien dans ce miroir qui soit digne d’être nommé. On ne nomme pas n’importe quoi, les mots ont une valeur immense. Ce que je voyais n’avait aucune valeur, je ne pouvais résolument pas me permettre de profaner les mots, & de les poser sur quelque de chose de sale & de souillé. Ce n’était pas ton avis, visiblement. Je le voyais à la contraction de tes mâchoires, qui devenait de plus en plus rapide, signe que ton sang bouillonnait dans tes veines. Tes mains sont descendues légèrement de mes épaules, & se sont nichées sur le haut des mes bras. De là, tu as serré le plus fort que tu pouvais. Tu m’as fait mal. J’avais des marques. Je ne les voyais pas, mais je le savais. Que ces mains n’étaient pas innocentes sur mon corps, que ce qui allait se passer allait me laisser des cicatrices, même éphémères. Des cicatrices éphémères, quelle jolie contradiction, je me suis dit. Tu m’as serrée tellement fort, que je n’avais plus de sang dans les avant bras. Et quand tu as tout lâché, toute la pression, sans prévenir, d’un seul coup. D’un seul coup, mon sang a réalimenté mes veines. D’un seul coup, les mots sont venus avec ma sève. Et pendant que mes veines retrouvaient la vie en elles, je retrouvais les mots en moi. Oui, je vois plein de choses dans ce miroir. Mes cheveux blonds, mes yeux gris, mes cernes, le grain de ma peau, mes petits seins, mes cicatrices, mes genoux cailleux, ma raideur marbreuse, la froideur de mon expression, mon cœur tout sec, mon passé, mon présent, mes douleurs, mes peines, les fantômes qui me hantent & les joies passées. Tout, je voyais tout. Mais je t’ai juste dis que je voyais une bonne salope, qui n’avait pas su dire non. & de là, j’ai parlé. Que dis-je, j’ai dégueulé tout ce que je pouvais, comme mots, comme phrases, comme larmes, comme cris. Et je te voyais, toi, le fauve derrière sa proie, se radoucir. Je voyais ta satisfaction, ton sourire, ta barbe, tes cheveux, tes yeux. Je voyais tout. Je voyais que tu avais réussi à me redonner la vie, et que tu en étais fier. Je voyais aussi que, non, tu ne m’aurais pas laissé tomber. Que tes mains étaient là, juste à côté. Tu n’as rien dis, tu as juste souris bêtement.
Et on s’est retrouvés, là, comme des cons. Le vent dehors, la fumée qui s’échappe de la tasse de café, le chat qui miaule, le silence, le froid dans la chambre. Mais plus de froid en moi.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Un retour en grande pompe, cool.

Romain P.

Anonyme a dit…

Ton blog est magnifique ! Tes photos aussi...

Anonyme a dit…

Un coup dans le ventre...

Rainbows-and-cloudless a dit…

Wow..

Vraiment, incroyable.

SYLLA a dit…

Mon dieu.

Je ne sais pas si tu connais Olivier Adam, un de mes auteurs préférés. Ton style ressemble beaucoup au sien. Vraiment.
Tes mots laissent sans voix.